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2013-RETOUR AU SENEGAL

Infos générales :
Population sénégalaise : 13 millions dont 50% de moins de 20 ans Etat laïc avec 90 % de musulmans 
La langue officielle est le français
La langue la plus parlée : le wolof

Dix ans se sont écoulés depuis notre précédent voyage au Sénégal. Le retour en taxi brousse de Banjul à Dakar nous avait donné envie de continuer la route jusqu’à la frontière mauritanienne. En 2012, Macky Sall est élu Président. Election démocratique qui montre à l’international qu’une passe de pouvoir africaine peut se passer dans le calme. C’est cet événement qui sera le déclencheur du départ en janvier 2013.
La première idée était de longer le fleuve Sénégal de Saint-Louis au Nord jusqu’à Kidira à la frontière malienne, puis de descendre plein Sud dans le parc national du Niokolo Koba. Entre l’idée et le voyage, la guerre s’est installée au Mali. Les territoires frontaliers sont devenus sensibles et les touristes ont boudé le Sénégal. Alors, notre route s’est adaptée mais Saint-Louis du Sénégal restera notre point de départ. Entre villes coloniales et villages de brousse, entre mer et fleuves, nous découvrirons une douceur de vivre sénégalaise exceptionnelle balayée par l’harmattan.
A la frontière de la Mauritanie, la ville de Saint-Louis du Sénégal s’étend sur trois territoires dans un site qui est exceptionnel : l’embouchure du fleuve Sénégal qui bute sur une langue de terre et une île centrale pour centre ville. Fierté sénégalaise inscrite au patrimoine mondial. Ville photographiée sous des angles flatteurs quand certaines personnes la comparent à Bordeaux !

Quand en février 2005 Jacques Chirac, alors Président de la République française et en visite officielle à Saint-Louis est invité à visiter la Ville de Saint-Louis du Sénégal, il emprunte le fameux pont Faidherbe pour l’heure dans un état de délabrement avancé. Et ce serait sur le pont qu’il aurait dit « no problem, la France se chargera de la restauration du pont ». A une autre échelle, beaucoup de maisons du centre, rongée par le salpêtre, attendent patiemment un amateur de vieilles pierres ou de solides subventions extérieures pour retrouver leur superbe d’antan.
Saint Louis est une ville à deux vitesses. La ville coloniale à l’organisation urbaine planifiée, centre géographique et résiduel, où le patrimoine se délite et se raconte sur guide touristique. N’est pas belle endormie qui veut ! Passé glorieux de Ville capitale du XIX° où les femmes métisses et aristocrates, appelées « signares » recevaient dans leur belle maison au patio fleuri. Depuis, les maisons se sont vidées. Certaines sont devenues des hôtels, des locations pour européens en manque de soleil.
La population active est blanche, sauf l’armée de balayeurs qui repoussent imperturbablement saletés et sacs plastiques au delà des zones visitées, mais la protection de l’environnement n’est pas une priorité sénégalaise. Dans cette ville économique de près de 200 000 habitants, la vie africaine s’est déplacée hors du centre historique. Deux poilus, un blanc et un noir, veillent sur le pont qui relie les deux quartiers. A l’Est, côté Langue de Barbarie, c’est le joyeux bazar d’un quartier surpeuplé où se pratique la pêche de jour et de nuit, où les enfants se mêlent aux chèvres et les camions aux charrettes. Vêtus de cirés plus ou moins étanches et pieds nus dans des bottes en caoutchouc, les pêcheurs partent et reviennent sans cesse par quinzaine dans les bateaux. Le travail est ingrat mais le geste est beau. Les hommes chantent pour garder les cadences. Le soleil joue avec le photographe à son lever et à son coucher.
A l’Ouest, le continent. La ville moderne prend ses aises, tourne dos à la mer et s’arrête brutalement sur une rocade dans un océan de poubelles. De Saint-Louis, nous rejoignons le parc national du Djoudj où les pélicans se prennent trop facilement pour des pilotes de jets. Ameth, éco guide au parc, nous fait découvrir en pirogue ce paradis pour oiseaux migrateurs. Au début, on ne voit pas grand-chose, c’est le grand calme, on serait presque déçu. Et puis, peu à peu on perçoit des oiseaux tourner dans le ciel et quand on avance encore, ces rondes aériennes sont de plus en plus nombreuses et se rapprochent de la terre. Au dernier virage, ces rondes se transforment en piqués. Au fond du tableau, une île couverte de jeunes oiseaux qui attendent leur repas. Ca fait du bruit ! Ca sent très fort ! Là, on se dit que ça valait vraiment le coup ! Ameth nous affirme que les parents retrouvent à chaque coup leur progéniture. Moi, je vois pas trop la différence entre le brun du fond et le beige de devant !

Nous longeons le fleuve Sénégal jusqu’à Podor où nous découvrons des villages. Endormis aujourd’hui, engloutis hier… Villages où l’architecture est faite de terre, où la joie des enfants résonne à l’ombre des grands arbres. Tout d’abord Dagana en avant goût de Podor. Ancien comptoir colonial, le site est déserté. Les quais attendent une renaissance, une reconnaissance ? L’ambiance me fait penser au film « Les caprices d’un fleuve », la révolution française est loin, Bernard Giraudeau n’est plus.
Face à la Mauritanie, comptoir à la porte du Sahel et du désert, Podor retrouve quelque faste d’antan. Amarré au quai, le Bou el Mogdad se prépare à repartir sur Saint-Louis. C’est le seul endroit où nous aurons du mal à trouver un logement. Etrange ! Jusqu’à présent nous sommes souvent seuls et là, nous avons l’impression que tous les touristes se sont donnés rendez-vous pour dormir. Nous croisons le guide du Fort qui, dans un français impeccable, nous raconte ses souvenirs d’enfant, ses jeux de cour d’école avec les petits français. Nous sommes en territoire Fouta. Par une route de terre nous accédons à l’Ile à Morphil. Nous nous laissons guider dans les villages toucouleurs. Le premier village est étrange, il a fondu sous une inondation. La mosquée omarienne a été reconstruite. Le village s’est déplacé. Les morts veillent, ensevelis à l’ombre des acacias.

A Guédé, les enfants nous accompagnent. L’ambiance est sereine, légère. Sur les bords du fleuve, les femmes s’activent, le passeur nous attend. Abandonnant le fleuve, nous prenons la route du Sud vers Touba, ville sainte, ville mosquée où la ferveur religieuse n’est pas un vain mot. Impressionnante mosquée, non seulement par ses dimensions mais aussi par le rayonnement religieux qui s’y dégage. Les femmes sont couvertes. Il est interdit de fumer et de boire de l’alcool dans la ville. Pape Diouf, ancien Président de l’OM, interrogé sur le Sénégal disait qu’il y a encore quelques temps, les chefs d’Etat s’asseyaient auprès du chef spirituel à Touba. Dernièrement, on a vu des politiques s’agenouiller devant lui ! L’Etat Sénégalais est pourtant toujours laïc.

Nous retrouvons Kaolack, ville carrefour sur le delta du Saloum, où dix années auparavant nous avions lutté toute la nuit contre une armée de moustiques, si minuscules mais tellement féroces... Deuxième ville sénégalaise au croisement des routes du Mali et de la Gambie, Kaolack bruisse d’activité. Me restait le souvenir d’une ville provinciale tranquille rythmée par son marché central où les couturiers s’activaient derrière leur machine au milieu des tissus Wax si identifiables par leurs motifs exubérants. Le cliquetis des machines s’est tu aujourd’hui. Je ne reconnais plus la ville, des nouvelles constructions sans âme se sont posées en centre ville. Les vieilles bâtisses coloniales souffrent de manque d’attention.
Finalement, nous allons siroter un coca sur les bords du delta du Saloum. Départ pour les territoires orientaux en passant par Tambacounda, qui nous fait la surprise d’être jumelée avec La Roche-sur-Yon en Vendée. Eh oui ! Vu de là-bas ça fait tout drôle. La route est longue jusqu’au campement de Wassadou. Une halte au marché permet de trouver de quoi nous restaurer. Le village artisanal est désert. C’est dommage car la production est belle.

Après Tambacounda, nous quittons les grands axes. Nous nous rapprochons de la Guinée. Les villages de cases de paille s’éparpillent le long de la route sauvage. La terre est sèche. Il fait chaud. A wassasdou, le campement est installé sur le fleuve Gambie. Il est possible de faire du kayack, mais quand on voit les narines des hippopotames au milieu du fleuve, on hésite… Alors une sieste sur un hamac face au fleuve, c’est pas mal non plus. Lassana nous accompagnera en 4x4 pour la visite du parc du Niokolo Koba. On nous avait promis des gazelles et des éléphants, il nous restera les pintades et des phacochères ! … Mais la journée est belle. Le site est sauvage, le fleuve Gambie ressemble encore à une rivière.

Retour vers l’ouest avec une pause à Toubacouta où nous nous perdons dans les bolongs du delta du Saloum. La douceur de l’air de la mer se fait sentir. Mamadou et Fatou nous interpellent et nous proposent une balade en pirogue. C’est une belle occasion pour échanger, mais nous sommes face à une jeunesse désemparée. Nous ressentons une amertume grandissante des jeunes envers les anciens colons qui ont pris, sont partis et qui osent revenir. Alors ils sont là pour payer ! Et paradoxe étonnant où ces mêmes jeunes rêvent d’un avenir en France où la vie de sans-papier et le travail au noir seraient la panacée ! Une compréhension générale pour la jeune fille noire qui pourra séduire un blanc (qu’on imaginera évidemment riche…) là où il n’est pas question d’amour. Aujourd’hui, les jeunes gens se mettent à rêver à leur tour d’une rencontre avec une femme blanche qui pourrait améliorer l’ordinaire… en deuxième épouse ! Au bout de la route balayée par l’harmattan nous rejoignons Foundiougne pour prendre le bac. Derrière nous, les immeubles tentent de devenir bateaux ! De l’autre côté, la terre rouge se resserre entre l’océan et le delta du Saloum. La terre devient sauvage. Etonnant paysage où les femmes creusent des trous pour récolter le sel qui est stocké dans les greniers. Nous remontons doucement par la pointe de Djiffer, village de pêcheurs très actif. La mer est belle mais au fil des ans, elle grignote et resserre le village en son centre. Sur la plage, les bateaux aux flans peints attendent les pêcheurs. La plage sert aussi malheureusement de sanitaires et de décharge malgré quelque tentative timide…
A Palmarin, nous partons en calèche dans les marais salants voir les hyènes qui sortent en fin d’après midi pour aller se nourrir. Je ne suis plus vraiment sûre que nous les ayons vues… Et la soirée se termine autour d’un couscous chez des suisses, illuminée par la rencontre avec Thomas Sarr, couturier et artiste, sénégalais et marseillais.

Sur la route de Fadiouth, nous passons devant le baobab sacré, peut-être le plus gros baobab du Sénégal. Nous traversons un village où les poissons sèchent au soleil. Une passerelle en bois relie Joal à l’île de Fadiouth. Sols, murs, tombes, ici, tout est coquillage…Les différents quartiers de l’île s’organisent autour des maisons à palabre, sous l’œil bienveillant des ancêtres enterrés dans le cimetière de coquillages… On avait rêvé d’éléphants et de gazelles, la réserve de Bandia en pleine savane nous comblera en zèbres, girafes, rhinocéros et crocodiles. Evidemment, ce n’est pas le Masaï Mara, mais l’ambiance y est. Les guides sont bien organisés et sur les 3500 hectares de la réserve, ils arrivent toujours, le talky walky à la main, à nous satisfaire, nous les curieux d’animaux sauvages. Après une incursion dans la réserve de Bandia, nous sommes allés danser à Touba Dialo, à quelques encablures de Dakar. Accroché à la falaise, le village se complète d’une grande plage peu fréquentée. A l’arrière, les abords ont fait l’objet de rêves inachevés de villégiature. Partout, nous verrons des chantiers abandonnés à ciel ouvert. Pas seulement des maisons, mais aussi des hôtels, des usines, des routes…

Le lendemain, nous rejoindrons Rufisque, ancien port colonial qui nous surprendra par sa qualité architecturale. Ancienne capitale de l’arachide, les vieux entrepôts sont abandonnés et les pontons d’accostage sont devenus des porte-oiseaux. Le Lac Rose sera notre dernière étape avant Dakar. L’exploitation du sel a débuté dans les années 70’. L’eau est salée à hauteur de 380gr/l. Le travail est partagé. Les hommes, dans l’eau jusqu’à la poitrine cassent le sol avec des pics et remontent les plaques qu’ils déposent dans une pirogue. Les femmes récupèrent la cargaison et posent les plaques au soleil. Le sel ainsi sèche et blanchit. Pour se protéger de la salinité corrosive, les femmes et les hommes s’enduisent de beurre de karité.

Dakar enfin… Le site est splendide. Presqu’île rocheuse dans l’océan atlantique, la ville explose par son développement à vitesse grand V depuis plus de dix ans. La frénésie immobilière alimente le secteur du bâtiment qui produit des chantiers qui restent bien souvent à l’état de chantiers !…Pas de planification significative, quasi inexistence de réseaux. Mais Dakar est une ville dynamique et cosmopolite. La route des corniches, premier grand chantier de Wade lors de son arrivée au pouvoir, inachevé aujourd’hui, relie le centre ville au Plateau, quartier résidentiel de Dakar d’où l’ile de Gorée est à une encablure. Signé Ousmane Sow et projet contesté par sa démesure, le monument de la Renaissance africaine a été inauguré en 2010. Pas très africain dans le style, plutôt « soviétique après guerre »… Un ascenseur permet d’accéder dans la tête de l’homme, et par ses yeux Dakar se dévoile… En 10 ans, l’ambiance dans le centre de Dakar n’a pas beaucoup changé. Il me restait en mémoire l’agitation de la Place de l’Indépendance, les paralytiques mendiant sur les trottoirs et une sombre histoire de bousculade qui s’était soldée par une donation d’une centaine de francs. Aujourd’hui, l’agitation est restée, les paralytiques mendient à présent dans des fauteuils roulants et certains sénégalais ont mis au point l’arnaque au portefeuille !

Loin du bruit et de la pollution et malgré son histoire douloureuse, Gorée est un havre de paix. En moins d’une heure de bateau, nous voici projetés dans l’histoire. Au hasard des ruelles ombragées, nous admirons les maisons coloniales colorées, relativement en bon état. Ni voiture, ni vélo, l’île se découvre à pied.

De mon premier voyage au Sénégal m’était restée l’image d’une femme noire épanouie, aux expressions arrondies et rieuses. Je l’ai retrouvée, mais il me semble que les femmes voilées se font plus nombreuses. Des jeunes hommes se tapent la main puis la poitrine en se disant « Salam ». Les écritures arabes décorent les voitures, les sourates coraniques se font entendre sur les trottoirs. J’avais rêvé de Saint-Louis, je me suis rassasiée d’architecture. Je pensais voir des éléphants, je me suis laissée séduire par les pélicans et les pintades. J’espérais la chaleur, je l’ai trouvée sèche aux portes de la Guinée et douce sur l’Océan Atlantique.

Véronique Gauthier