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2013-COULEURS DE COLOMBIE 

Quand Gabriel Garcia Marquez nous quitte en avril 2014, il laisse derrière lui une œuvre littéraire immense où des chapitres entiers sont consacrés à sa Colombie natale. Lors de notre voyage en novembre 2013, je me suis replongée avec bonheur dans « Cent ans de solitude » et « L’amour au temps du choléra ».
La Colombie est une terre littéraire. Des écrivains nous accompagneront dans ce voyage et nous aideront à découvrir ce pays où la violence existe mais pas que… où les trafics existent mais pas que… Car depuis plus de dix ans déjà, crimes et poudre blanche ne sont plus les mots qui définissent la Colombie.

Nous découvrirons des paysages à couper le souffle, des villages anciens préservés, des villes où le tourbillon urbain affirme et revendique que l’Amérique est aussi Sud américaine… Bien de nombreux atouts pour séduire un voyageur curieux d’ailleurs !

BOGOTA : VILLE CAPITALE AMERICAINE A 4000 m d’altitude, le pilote avertit les passagers que l’avion entame la descente. Cliquetis des ceintures, excitation de l’arrivée… 3500 m, tout va bien. 3000 m, on attend toujours. 2640 m, un choc ! Pas violent mais sourd et qui s’accompagne d’un bruit de roulement pneumatique. En fait, ça y est, on est arrivé à Bogota. Capitale perchée en haut des Andes, Bogota est une des trois capitales les plus hautes du monde et la plus grande ville de Colombie. Elle a enfanté dans ces trente dernières années une zone urbaine tentaculaire de près de sept millions d’habitants. Peu de temps à Bogota. La température est indéfinissable, un entre-deux de printemps et d’automne. Juan Gabriel Vasquez écrit dans Le bruit des choses qui tombent : « La petite averse aux gouttes épaisses a bientôt cédé la place à une pluie violente : en quelques secondes, le ciel est devenu aussi sombre et bombé que le ventre d’un âne et avant même que nous ayons eu le temps d’aller nous abriter, nos chemises étaient trempées. » Centre historique de Bogota, la Candelaria exhibe une belle architecture autour de la place Bolivar. Souvenir d’une époque récente explosive, l’architecture moderne fricote avec le classique. Et Bolivar qui n’a toujours pas retrouvé son épée…

VILLA DE LEYVA ET BARRICHARA : VILLES COLONIALES ESPAGNOLES Ville espagnole totalement préservée, Villa de Leyva a pour toile de fond des collines arides et pour cœur de ville une place Mayor de plus d’un hectare harmonieuse et flanquée de bâtiments coloniaux ordonnés. A quelques kilomètres, le monastère de Ecce Homo réserve des surprises… statues de saints privés de leurs atours formant happening ! Sur le chemin du retour, nous traversons un lieu cérémoniel avec un observatoire astronomique et d’autres cailloux aux formes pleines de promesse !
Autre beauté coloniale espagnole, Barichara compte parmi les plus belles de Colombie. Ruelles pavées bordées de maisons traditionnelles, la ville se love dans un site enchanteur. Epousant le relief montagneux, l’ancien chemin royal indigène nous mène au petit village de Guane.

LA MER DES CARAIBES
Nous arrivons plein Nord sur la mer des Caraïbes avec ses villes colorées et ses paradis perdus. Quelques kilomètres dans la jungle du parc national naturel de Tayrona et nous voici arrivés au Chaiama pueblito, village d’indiens constitué de 250 terrasses organisées entre cercle autour d’un espace de rencontre. La descente nous mène aux plages, image de carte postale et baignade interdite ! Nous sommes sur les terres de Gabriel Garcia Marquez. Il écrit dans Cent ans de solitude : « Bien des années plus tard, face au peloton d'exécution, le colonel Aureliano Bendia devait se rappeler ce lointain après-midi au cours duquel son père l'emmena faire connaissance avec la glace. Macondo était alors un village d'une vingtaine de maisons en glaise et en roseaux, construites au bord d'une rivière dont les eaux diaphanes roulaient sur un lit de pierres polies, blanches, énormes comme des oeufs préhistoriques. »

CARTHAGENE DES INDES : LE NOUVEAU MONDE Première ville fondée par les espagnols sur le continent sud-américain, Carthagène des Indes fut un des principaux ports de commerce du Nouveau Monde. Vieille ville fortifiée, château bastion, quartier colonial, extension en gratte-ciel à Bocagrande… Comme horizon, le ciel chauffé à blanc se fond dans la mer des Caraïbes. Tout est fait pour s’y plaire : l’histoire s’y raconte sur chaque pierre, le soleil s’apprivoise sous des terrasses ombragées, chaque coin de rue est une incitation à flâner. Le centre historique est offert aux piétons et aux calèches. On retrouve alors avec bonheur Gabriel Garcia Marquez dans l’Amour au temps du choléra : « Elle (Fermina Daza) ne prêta aucune attention à l’insistance des charlatans qui lui offraient le sirop de l’amour éternel, ni aux suppliques des mendiants couchés sous les porches avec leurs plaies suintantes, ni au faux Indien qui tentait de lui vendre un caïman apprivoisé. Elle se laissa aller à une longue et minutieuse promenade, sans but précis, s’accordant des pauses qui n’avaient d’autre motif que de savourer sans hâte l’esprit des choses. Elle entrait sous chaque porche où il y avait quelque chose à vendre et partout elle trouvait quelque chose qui argumentait son envie de vivre. Elle s’enivra de la senteur de vétiver des étoffes dans les malles, elle s’enveloppa dans des soies imprimées, rit de son propre rire en se voyant déguisée en gitane avec une peineta et un éventail de fleurs peintes, devant le miroir en pied de l’Alambre de oro. … Chez le marchand d’épices, pour le pur plaisir de l’odorat, elle froissa des feuilles de sauge et d’origan dans les paumes de ses mains et acheta une poignée de clous de girofle, une autre d’anis étoilé, une de gingembre et une de genièvre, et sortit en riant aux larmes à force d’avoir éternué sous l’effet du piment de Cayenne».

SAN AUGUSTIN : PARC ARCHEOLOGIQUE
Nous remontons le fleuve Magdalena plein Sud pour arriver à San Augustin. Dans toute la haute vallée, le site archéologique est exceptionnel mais les hommes ont oublié leur histoire précolombienne. Le site archéologique aurait été occupé de – 3300 à + 800 après JC. Préservées sur des terrains qui pourraient être des « green » les statues, appelées chinas sont vraisemblablement toutes liées à des rites funéraires. Taillées dans des blocs de tuf, leur taille peut avoisiner les 6 m. Humain ou animal, l’expression n’est pas toujours aimable. L’attitude est parfois violente. La fascination est intacte.
Un poème de Borges me revient en mémoire :
« Nous voilà devenus l’oubli que nous serons.
La poussière élémentaire qui nous ignore,
qui fut le rouge Adam, qui est maintenant
tous les hommes, et que nous ne verrons.
Nous sommes en tombe les deux dates
du début et du terme. La caisse,
l’obscène corruption et le linceul,
triomphes de la mort et complaintes.
Je ne suis l’insensé qui s’accroche
Au son magique de son nom.
Je pense avec espoir à cet homme
qui ne saura qui je fus ici-bas.
Sous le bleu indifférent du Ciel
cette pensée ma console. »

Entre chaque site, les hommes s’activent dans les vallées escarpées.

POPAYAN : VILLE BLANCHE Située au cœur de la vallée verdoyante de la Cauca, la blanche Popayan a conservé le charme désuet des villes coloniales. Chaque regard se tourne vers une église à la façade sculptée ou une casa aux balcons de fer forgé abritant une cour carrée fleurie.

SALENTO : VILLE COULEUR Salento joue avec les couleurs et elle se veut la plus belle ville de l’Antioquia. Murs blancs et menuiseries de couleurs vives. Toutes les audaces sont permises. Aux alentours, les plantations de café se visitent. Dans Un bel morir, Alvaro Mutis écrit que :« Lorsqu'ils parvinrent aux caféiers, il éprouva une nouvelle fois la fascination intacte de cette atmosphère tiède, accueillante et pleine de cette végétation soignée aux tons incomparables, qui semblait choisie exprès pour ses effets de beauté naturelle et ordonnée à la fois ». Près de Salento et à plus de 2000 m d’altitude dans la Vallée del Cocora, les derniers palmiers à cire se dressent fièrement vers le ciel.

MEDELLIN : LE PRINTEMPS ETERNEL Medellin est une ville moderne et cosmopolite. Ancienne capitale mondiale de la cocaïne, la ville pleurait ses morts par milliers dans les années 80. La littérature est fortement marquée par cette époque. Dans un livre écrit en hommage à son père, Hector Abad raconte: « Quelques dix jours après le crime, je dus me rendre à la morgue pour réclamer les vêtements et les objets personnels de mon père. On me les remit dans un sac en plastique et je les emportai à son bureau, sur la carrera Chile. Je défis le tout dans la cour : les vêtements ensanglantés, la chemise tâchée de sang, avec les déchirures des balles, la cravate, les souliers. Du col du veston sauta quelque chose qui rebondit avec force sur le sol. Je regardai bien : c’était une balle. Les juges n’avaient même pas pris la peine de fouiller ses vêtements. Le lendemain, je portai cette balle au tribunal, tout en sachant que cela non plus ne servirait à rien. » La phrase est plus crue dans « La Vierge des tueurs » de Fernando Vallejo : « ...Dieu est le Diable. Les deux sont un, la thèse et son antithèse. Bien sûr que Dieu existe, partout je trouve des signes de sa méchanceté. Devant le Salón Versalles qui est une cafétéria, il y avait l'autre soir un gamin en train de renifler du sacol, une colle de cordonnier hallucinogène. Et d'hallucination en hallucination elle finit par t'empoisser les poumons jusqu'à te débarrasser de l'agitation et des déboires de cette vie et t'éviter de continuer à respirer le smog. Pour ça le sacol est très bien. Quand j'ai vu le petit humer le flacon je l'ai salué d'un sourire. Ses yeux, terribles, se sont plantés dans les miens, et j'ai vu qu'il me voyait jusqu'à l'âme. Sûr que Dieu existe. »
Au début des années 90, la ville s’offre une renaissance en désenclavant les quartiers défavorisés par un maillage de câbles en complément du réseau métropolitain. Effacés tueurs, sicaires, Pablo Escobar… En 2000, le maire Sergio Fajardo Valderrama dirige la ville avec comme slogan « De la peur à l’espoir ». Medellin devient alors une métropole prospère. La colombe de la paix retrouve sa silhouette. Ville mère de Botero, Medellin est une galerie d’art à ciel ouvert.
A quelques encablures du centre ville, le peintre muraliste Pedro Nel Gomez a fait quelques adeptes dans le quartier. Non loin, le cimetière San Pedro abrite des pleureuses dont l’émotion est palpable.

Véronique Gauthier