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Le Guatemala à la Toussaint

 

Les fêtes religieuses sont toujours une formidable occasion de vivre des moments forts avec les populations. C’est pourquoi j’ai choisi la période de la Toussaint 2012 pour découvrir le Guatemala. Dans ce pays d’Amérique centrale, les deux tiers des indigènes sont des Mayas, descendants de l’une des plus prestigieuses civilisations précolombiennes. Ils sont concentrés dans les hauts plateaux de l’ouest.

Le peuple maya est constitué d’une grande diversité ethnique. Chaque village possède ses propres traditions ce qui fait la richesse du Guatemala. Les vêtements traditionnels tissés et portés principalement par les femmes sont une façon d’afficher leur identité culturelle et aussi une volonté de bien se démarquer du modèle hispanique. Subissant encore aujourd’hui une discrimination dans la société, les Mayas n’expriment guère leur envie d’intégration. Les marchés sont un pur régal des yeux avec des tissages multicolores qui sont de superbes tableaux.

 

La prestigieuse civilisation maya

 

La civilisation maya remonte à la préhistoire et les premiers monuments datent de 3000 ans avant J-C. Elle s’étendait sur la Mésoamérique (sud et est du Mexique, Guatemala, Honduras, Salvador et Belize). Elle connut son apogée du VIème au IXème siècle de notre ère. La population était constituée d’une trentaine d’ethnies isolées aux dialectes très différents et qui étaient constamment en guerre, ce qui amena d’ailleurs le déclin de cette civilisation.

Les sites archéologiques (Tikal, Yaxha, Uaxactun) sont restés cachés dans la jungle pendant des siècles. Ils ont délivré, il y a moins de deux cents ans, quelques-uns des secrets des Mayas grâce aux hiéroglyphes des stèles. Les trois seuls codex (manuscrits peints) qui ont échappé aux destructions des Espagnols ainsi que le Popol Vuh (le livre des Mayas Quiché) attestent que leur niveau de connaissance était supérieur à celui des Atztèques (Mexique) et des Incas (aire andine). Ces deux civilisations s’éteignirent d’ailleurs rapidement après l’arrivée en 1519 de Hernan Cortes et de ses Conquistadors.

Les Mayas connaissaient déjà l’écriture, les mathématiques, l’astronomie et ils avaient établi un calendrier complexe composé de plusieurs cycles, prévoyant un futur très lointain. L’univers a eu plusieurs existences qui furent détruites par les dieux. Chaque période permit d’améliorer le genre humain afin de maintenir l’univers en vie. C’est ainsi que contrairement aux interprétations erronées des medias, le 21 décembre 2012 n’était pas la fin du monde, mais la fin d’un cycle de 13 baktun (période de 5125 ans) et le début d’un nouveau cycle qui doit favoriser le rétablissement de l’équilibre sur la terre.

 

Chamans et prêtres catholiques coexistent toujours

 

A l’arrivée des Espagnols, la religion catholique s’imposa sans trop de difficulté car les Mayas ne comprenant pas la langue, s’attachaient au symbole de la croix qu’ils utilisaient également. Les Conquistadors ne réussirent jamais à leur faire oublier leurs rites qu’ils pratiquaient en cachette. Aujourd’hui encore coexistent chamans et prêtres catholiques ainsi que les églises évangélistes qui ont de plus en plus la faveur des Mayas.

Les Mayas pensaient que le monde était organisé en trois plans horizontaux : la Terre destinée aux être vivants ; le Ciel où résident les dieux de la pluie et la déesse de la lune ;  l’Inframonde où vivent éternellement les ancêtres et où descend quotidiennement le Soleil. Ce monde inférieur n’est pas seulement le lieu de la mort, c’est l’espace de l’univers d’où jaillit l’eau et d’où poussent les graines, des éléments qui donnent la vie à ceux qui habitent sur la terre, c’est donc aussi le lieu de la renaissance. La terre est séparée du ciel et de l’inframonde par quatre arbres sacrés situés sur une croix, aux quatre points cardinaux symbolisés par une couleur et un autre arbre, le fromager, se situe au centre, axe de l’univers. Après trois tentatives, l’ancêtre des Mayas, « l’homme de maïs » fut créé par les dieux. Le mot « maya » signifie d’ailleurs « maïs ».

 

La Toussaint, fête de la mort et de la vie

 

Dans la religion catholique, le 1er novembre est le jour des Saints et le 2 novembre celui des Défunts. Pour les Mayas le 1er novembre est plutôt le jour du culte des ancêtres. Pendant 24 heures, leurs âmes sortent de l’Inframonde pour aller choisir ceux qui trépasseront dans l’année ou pour apporter malheurs et maladies à leurs descendants. Aussi faut–il chercher à les séduire pour échapper au mauvais sort. C’est alors une fête joyeuse qui permet de les célébrer et d’être en contact avec les êtres chers.

La fin octobre a été consacrée aux préparatifs. On nettoie et repeint les tombes avec l’une des couleurs sacrées : blanc, la pureté ; vert, l’éternité ; bleu, la noblesse ; mauve, la pénitence ; rouge, la vie après la mort. Sur les flancs des collines, les cimetières forment ainsi des taches multicolores. Dans les stands des marchés sont confectionnées les guirlandes de fleurs naturelles.

Sur les menus des restaurants, je découvre la « Fiambre » un plat spécifique du Guatemala qui symbolise le rassemblement des familles et des amis et le partage entre les générations. Ce plat est constitué de viandes et de nombreux ingrédients que chacun apporte avant d’aller au cimetière. La recette s’adapte à tous les goûts, mais nécessite un solide appétit ! Et de nombreuses variétés de sucreries de la Toussaint viennent compléter le repas.

 

Ambiance de fête dans les cimetières

 

Cette période coïncide avec le début de la saison sèche et des grandes vacances scolaires. Les familles arrivent en bus, en pick-ups ou en voitures particulières. Elles s’installent pour la journée dans les cimetières qui deviennent un lieu de vie très animé. Elles apportent leur pique-nique et parfois leur poste de radio quand le cimetière ne diffuse pas de la musique religieuse ou des chants populaires rythmés par les marimbas (instruments de percussion). Les camelots déambulent pour vendre boissons, glaces et galettes de maïs (tortillas). Des offrandes (cigarettes, verres de vin, fruits...) sont déposées sur les tombes. Le cimetière est envahi d’une multitude de fleurs. Les bougies aux couleurs sacrées, l’encens, le feu, qui font partie des attributs des rituels mayas, sont omniprésents même à l’intérieur des églises.

Cette ambiance de fête me surprend. J’oublie vite le silence et le recueillement des cimetières européens. Tout le monde semble heureux de manger, discuter ou rire au pied de la tombe du défunt. Peut-être même qu’on lui raconte les événements de l’année passée ?

Les enfants grimpent sur les monuments pour faire voler leurs cerfs-volants et les allées sont encombrées de fils. Les parents regardent le spectacle le nez en l’air. Les anciens Mayas utilisaient le frottement du cuir pour attirer l’attention des ancêtres et communiquer avec eux. Puis le bruit des cerfs-volants leur a rappelé ce son. La légende raconte aussi que les âmes des morts encore attachées à la terre peuvent, ce jour-là, se saisir de la corde de retenue d'un cerf-volant et entreprendre leur ascension vers les cieux.

 

Le festival des cerfs-volants géants de Sumpango

 

Les « barriletes » remontent au XVIIème siècle. Ce sont de petits cerfs-volants manipulés par les enfants. En 1900, des commerçants Chinois arrivent au Guatemala, empruntant la route de Santiago Sacatepequez et de Sumpango. Les cerfs-volants géants font leur apparition dans les cimetières de ces villages. Leur grande taille exprime la victoire du monde supérieur sur celui de l’Inframonde.

A Sumpango, la créativité des confréries a amené la création d’un festival, véritable expression artistique de toute une région et de notoriété internationale. Sur la colline, une cinquantaine de cerfs-volants de toutes tailles est exposée. Il faudra une dizaine d’hommes pour redresser et amarrer le plus grand, de 22 mètres de diamètre. Ce sont de vraies œuvres d’art qui ont été réalisées pendant des mois avec la participation des villages aux alentours. Les cerfs-volants sont constitués d’un patchwork de milliers de papiers de chine peints, collés puis montés sur une armature en bambous. Jusqu’en 1990, les motifs représentaient surtout les croyances mayas et l’amour de la nature. Ensuite le cerf-volant est devenu un support de communication : souvenirs de la guerre civile, messages de solidarité, de liberté et de paix, dénonciations des discriminations, revendications de l’identité maya.

C’est un spectacle magnifique aux couleurs vives que des milliers de personnes viennent admirer. Seuls les petits cerfs-volants de moins de 10 mètres fabriqués par les enfants tenteront de s’élever pour honorer les ancêtres comme le veut la tradition. Mais le vent est bien faible aujourd’hui et la foule est déçue. Les cerfs-volants seront brûlés après la fête s’ils ne se sont pas détruits dans une chute !

   

Une course de chevaux à 3000 mètres d’altitude

 

Une autre fête bien connue se tient aussi le 1er novembre dans les hautes terres occidentales, à Todos Santos Cuchumatan. Il s’agit d’une course de chevaux typique des Mayas Mam. Les haciendas sont nombreuses dans la montagne et elles utilisent les chevaux pour parcourir les vastes territoires désertiques.

Une course de chevaux du même type a lieu le 10 novembre dans un hameau perché à 3000 mètres d’altitude, à la Ventoza près de Chancol. Une longue route monte en lacets et serpente entre les volcans. Elle est bordée de grosses plantes grasses étonnantes. Je découvre un panorama époustouflant. Après une nuit déjà hivernale, Geronimo m’accueille sur le site, un champ qui borde la route au pied de la montagne. Les villageois arrivent à pied par les sentiers, à bord de pick-ups ou entassés dans des camions. Ici les hommes portent des costumes uniques : pantalon rayé rouge et blanc et veste blanche à rayures bleues. Un guide local s’imposait pour m’accompagner. Peu de touristes viennent ici et ma présence ne passe donc pas inaperçue. Bière et alcool fort (fabrication locale) sont servis dès le début de la matinée et les femmes avec leur bébé dans le dos ne sont pas en reste. A Todos Santos un japonais fut tué en 2000 pour une photo de trop. Avec les bandes armées qui rodaient à l’époque dans les montagnes, les villageois ont appris à se faire justice eux-mêmes (la police est souvent corrompue). La région est plus sûre aujourd’hui, mais il est recommandé de quitter le hameau avant les effets de l’alcool (à Todos Santos l’alcool est aujourd’hui prohibé).

Les cavaliers galopent sur une ligne droite de 500 mètres environ aller et retour. Ils louent souvent les chevaux pour une forte somme qui endette les moins fortunés. Il n’y a pas de gagnant. Le seul plaisir est de montrer son talent pendant des heures. Les chutes font partie de la fête. Des orchestres de marimbas se produisent au bord de la route et dans un bâtiment est aménagée une piste de danse. Je m’y sens vite une intruse. Il est temps de partir.

 

Le violent tremblement de terre du  7 novembre

 

Les Mayas ont chaque jour conscience du fil ténu de leur existence. Ils sont environnés de nombreux volcans actifs et en particulier le « Fuego » qui s’est manifesté en août dernier. La guerre civile des années 80 a décimé la population maya. Les familles déplorent encore les décès d’enfants en bas âge dus à la malnutrition et au manque de soins médicaux. Les tremblements de terre secouent le pays plusieurs fois par an. Celui du 7 novembre fut impressionnant. Il a fait 50 morts et 150 blessés et des dégâts considérables à San Marcos. Ce fut le séisme le plus violent depuis celui de 1976 (23000 morts, 76000 blessés et le pays dévasté). J’étais au milieu du lac Atitlan au moment des secousses. Une fois arrivée sur la rive, je n’ai pas ressenti d’émotion vive de la part de la population. La mort n’est pas une fin, mais la poursuite d’un cycle. Alors une fois la secousse passée et lorsqu’il n’y a pas de dégâts, on reprend avec philosophie la vie quotidienne puisque l’on a survécu.

   

Catherine Jeudy

Novembre 2012

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catherinejeudyvoyages.blogspot.fr